Il y a des mots qui déchaînent les passions. Le mot "intellectualisme" est de ceux-là à cause de son extraordinaire ambiguïté. Voilà un terme en "isme" fait pour stigmatiser. Et en même temps, parler d'antiintellectualisme paraît tout aussi péjoratif.
Je crois deux choses : que Vatican II a péché par intellectualisme : il suffit de lire le Journal du Père Congar pour s'en convaincre. Cet intellectualisme, typique des années 50 et de ce que l'on a appelé à l'époque "la nouvelle théologie" était essentiellement fondé sur l'érudition. Des gens comme Congar, Lubac et quelques autres savaient tout. Leurs articles, écrits dans un style platement universitaire, valaient essentiellement pour l'impressionnant appareil critique qui les accompagnait et leurs livres étaient souvent des recueils de ces articles. Michel de Certeau, qui a bien connu cette époque et qui a sacrifié à l'idole de l'Erudition plus souvent qu'à son tour, parle à ce sujet du "terrorisme qu'exerçait l'érudition sur la théologie". Quand on ne peut plus rien avancer sur un aspect central de la foi avant de pouvoir justifier s'être enfiler des kilomètres de littérature secondaire, cela devient très ennuyeux. Le problème c'est que l'Eglise n'avait pas tant besoin de ce luxe érudit que d'une nouvelle pensée de sa foi. Pensée ? On a eu Rahner et son concept d'autocommunication de Dieu et aujourd'hui si vous voulez on a non pas Sesboüe (bon scoliaste au demeurant) mais Theobald. Pour Theobald, c'est tout le dogme (et pas seulement Vatican II) qui doit être l'objet d'une herméneutique, qui n'est pas l'herméneutioque de la continuité mais l'herméneutique de la modernité. Dans l'héritage, dont on fait l'inventaire sans vergogne, est vrai ce qui est moderne. Et du coup il reste ? - Rien.
Quant aux tradis, j'en sais quelque chose, ils pèchent de manière symétrique, par antiintellectualisme. Ce qui compte, c'est répéter les vieux manuels, reprendre les vieux discours, refaire sans état d'âme les années 50. Cette démarche a pu avoir sa force salutaire à un moment où les années 70 avaient fait le désert partout. Mais, à l'épreuve du temps qui passe, des générations qui se succèdent et pour lesquelles les enjeux se déplacent, cette démarche est insuffisante. On va vers l'épuisement du "filon traditionaliste". Filon ? Clientèle si vous voulez.
Que faut-il faire alors ? L'inverse de ce qu'a fait Vatican II avec le succès que l'on sait. Vatican II a voulu brader les formes au profit du fond, qui méritait, soi disant, des formes renouvelées. On a détruit. Force est de constater que l'on n'a pas remplacé. Martin Mosebach décrit très bien cette "hérésie de l'informe" en quoi consiste l'Après-concile.
Je crois qu'une religion vraie, c'est-à-dire une religion adossée à l'Infini, a besoin de formes. Tout à l'heure je célébrais une messe de Requiem. Un garçon qui s'est tué accidentellement. Cela a quelque chose de scandaleux la mort. Mais devant elle, nous sommes désarmés. Si nous n'avons que nos mots à nous, nous ne pouvons que balbutier. Il nous faut les mots du Christ dans l'Evangile : "Celui qui vit et croit en moi, quand même il serait mort, vivra" : quelle promesse ! Voilà une première forme, intangible : l'Ecriture. Mais l'Ecriture agit ou elle n'est pas l'Ecriture et cette parole en action est sacramentelle. Devant le mystère, devant l'horreur de la mort, il nous faut la messe, cette action du Christ qu'entoure (plus ou moins maladroitement) la célébration du prêtre. La messe traditionnelle ? Pas forcément sans doute, mais la grande force de ce rite est de réduire les initiatives (malheureuses à 80 % dans ces cas là) du célébrant.. Beauté de la messe chantée ! Puissance de la forme liturgique ! Impuissance de ces formes sans forme qu'on nous inflige encore ici et là. Il y a aussi les formes de la foi telles que nous les enseignent le catéchisme. Quand on est paumé, quand on est dans l'épreuve, les formes, les définitions formelles du catéchisme (les dogmes clairement formulés) nous aident à dire notre foi.
Mais alors, me direz-vous, cette foi deviendra une foi formelle ? Un psittacisme ? (je précise qu'étymologiquement le psittacisme est la maladie du perroquet, psitax, qui répète sans comprendre).
Non pas ! Je crois que, gardant les formes avec une fidélité tranquille, on peut s'avancer avec assurance, avec une grande liberté d'esprit et de coeur, dans l'étude du fond. On peut et on doit essayer de puiser dans les trésors de la tradition catholique pour aider les gens à croire. - Comment aider les gens à croire si la foi est un don de Dieu ? Il me vient une anecdote gabonaise... J'avais emmené la voiture de la Mission en réparation. Elle était dans la petite cour du garage, capot ouvert. Et je vois un Africain penché sur le moteur - Qu'est-ce que tu fais ? Je regarde ce qui emmerde. Eh bien ! C'est la définition, point trop théologique, de ce que les théologiens appellent le removens prohibens. Il faut enlever l'obstacle. Il est de notre devoir de prêtres de tâcher de lever les obstacles pour que ceux qui doivent croire croient sereinement.
Julien a raison de me présenter le péché originel comme un obstacle. Comment expliquer sa transmission ? Et s'il ne s'est pas transmis comment comprendre le salut ? Là on n'est plus dans les formes à changer (comme le pensait le bienheureux Jean XXIII imprudemment). On est dans le fond à expliquer. Il faut se creuser les méninges. Impossible ? C'est ce que l'on m'apprenait en Dogme II à Ecône. A l'époque déjà, je m'étais permis de proposer ma petite idée sur le sujet. Le prof était surpris et sceptique... mais pas choqué. Il m'avait dit simplement : "Ne cherchez pas, c'est un mystère".
Moi, le mot "mystère" me fait l'effet inverse. Il me pousse à chercher. Je vous propose très vite cette petite recherche sur le sujet.
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